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10 genres récurrents du livre illustré moderne

Le livre à images possède une longue histoire, remontant au moins au 8e siècle avec les premiers codex enluminés. Au 15e siècle, l’introduction en Europe de la gravure puis de l’imprimerie mécanisée a permis son développement à grande échelle. Il a connu depuis plusieurs modes et tendances : livres de prières ou scientifiques, puis romans et ouvrages éducatifs (comme les encyclopédies) ont peu à peu accueilli des représentations. Le terme de « livre illustré » apparaît réellement au 19e siècle, dont le sens moderne est importé de l’anglais « illustrated book ». Avec la révolution industrielle, le livre illustré envahit le marché et devient un véritable domaine de création. À la fin du 19e siècle, il s’adresse même à des lecteurs jusqu’ici souvent ignorés, comme les femmes et les enfants. Depuis le début du 20e siècle, l’édition illustrée pour le grand public s’est considérablement enrichie, et présente aujourd’hui une dizaine de genres récurrents, que nous vous proposons de découvrir.

L’album jeunesse

L’album est aujourd’hui le genre le plus répandu dans l’édition jeunesse et représente même le livre illustré par excellence dans l’esprit collectif. Il apparaît dans son format moderne au cours du 19e siècle en Europe, avec plusieurs berceaux distincts, notamment l’Allemagne, la France et l’Angleterre. On doit l’un des premiers livres entièrement conçus pour la jeunesse (texte et image) à un Allemand, le Dʳ Heinrich Hoffmann ; tandis que ce sont des Français, Cécile et Jean de Brunhoff, qui sont les premiers à définir les grandes lignes de l’album contemporain, avec Babar. À savoir, un livre entièrement illustré avec des images qui occupent souvent l’intégralité de la page, et qui possèdent au moins autant que le texte la capacité à raconter une histoire (que celle-ci soit originale – imaginée pour la publication – ou reprise de classiques littéraires).

L’album jeunesse est un des domaines de prédilection des artistes de la Galerie, qui ont presque tous réalisé nombres d’œuvres originales destinées à ce support incontournable.

L’abécédaire

L’abécédaire est une des premières formes d’éducation par le livre à s’être adressée aux enfants aussi bien qu’aux adultes. Aujourd’hui, c’est un genre qui rivalise avec l’album, notamment dans l’édition jeunesse. L’abécédaire présente une ou plusieurs images associées à la lettre traitée, en commençant généralement par A et en finissant par Z. Malgré la répétitivité sous-jacente du genre, il reste un terrain fertile de créativité, permettant aux artistes de se jouer des contraintes pour proposer toujours plus d’idées graphiques inédites.

Par exemple, Marion Arbona, dans son ABC (les 400 coups), imagine un ensemble d’animaux, de fruits et d’autres objets (qui commencent tous par la même lettre) et qui, associés les uns aux autres, forment la lettre en question. Elle crée ainsi des compositions drôles et dynamiques dans cet espace réduit.

L’imagier

Un peu comme l’abécédaire, l’imagier associe mot et image dans une visée éducative. Il s’affranchit cependant des contraintes de l’alphabet pour représenter librement une série de dessins autour d’une thématique. Par ailleurs, le genre n’est pas systématiquement accompagné d’un texte. Un format apprécié de certains artistes comme Bastien Contraire, notamment dans sa série de livres Les intrus (Albin Michel), où les images s’associent par les jeux visuels dans un graphisme très stylisé, proche du logotype.

Raphaële Enjary et et Olivier Philipponneau s’inspirent aussi du logo dans leur imagier Animots (3œil), dans lequel ils créent des correspondances entre la transformation typographique d’un mot, et celle de l’image qui lui est associée avec. Blexbolex choisit l’humour et la poésie dans son Imagier des gens (Albin Michel), mettant en parallèle des activités très différentes qui partagent souvent un point commun subtil. Martin Jarrie peint plutôt des représentations naturalistes à l’acrylique dans son Imagier du vivant (Seuil). Florence Koenig imagine, elle, un imagier inventaire pour apprendre à compter avec 1 hibou, 2 boutons, 3 camions (Actes Sud).

Le documentaire illustré

Ces dernières années, le documentaire entièrement illustré est devenu un genre de plus en plus populaire de l’édition jeunesse, voire tout public. Le documentaire, contrairement à l’album, s’intéresse aux faits réels, traite de sujets de société ou scientifiques. Comme l’abécédaire ou l’imagier, c’est un ouvrage pédagogique, mais qui s’adresse plutôt aux grands enfants et aux jeunes ados. Miroslav Sasek en est un des initiateurs avec ses guides de visite entièrement illustrés, rencontrant un immense succès dans les années 1960 (plus d’infos dans Lumière sur Miroslav Sasek).

C’est aujourd’hui un des exercices préférés de Camille de Cussac, qui recrée la réalité avec une explosion de couleurs, par exemple dans La grande aventure du livre (DADA) ; et plus récemment, dans la collection « Les Grandes vies » des éditions Gallimard jeunesse, illustrant les biographies de Mohamed Ali et Joséphine Baker. Claire de Gastold fait plutôt le pari d’une illustration naturaliste très précise aux crayons et à l’aquarelle, dans sa série sur les sens des animaux imaginée avec Emmanuelle Figueras (Saltimbanque).

La comptine

Certaines comptines sont vieilles de plusieurs siècles ; et enseignées de génération en génération, elles font désormais partie de la culture générale. Des airs qui trottent aussi dans la tête des illustrateurs et illustratrices, qui n’hésitent pas à les revisiter dans des exercices esthétiques et/ou littéraire.

Julia Chausson a par exemple transformé Pomme de reinette ou encore Une poule sur un mur en un exercice graphique nourri par sa technique de prédilection : la gravure sur bois. Elle déconstruit la forme principale de page en page, en la creusant dans la matrice avec sa gouge, au rythme des rimes de ces célèbres chansons pour tout-petits. Aurore Petit détourne plutôt les classiques dans de drôles de livres élaborés avec son compagnon, Mathis (Milan). Ainsi, le Petit lapin qui se cachait dans le jardin finit mangé par un crocodile, tandis que le roi Dagobert est un jeune fripon qui fait tout à l’envers !

Le livre musical

Le livre musical se distingue de la comptine par l’intervention directe de la musique, souvent par le biais d’un CD inséré à l’intérieur de la couverture, dont les morceaux suivent le texte écrit et illustré dans les pages. Les éditions Didier jeunesse sont une des premières à se spécialiser dans ce genre de publications à la fin des années 1980, avec une collection au format carré dans laquelle nombre de nos illustrateurs et illustratrices ont excellé. C’est le cas par exemple d’Olivier Desvaux avec Giselle ou le Lac des signes, ou d’Ilya Green avec ses livres jazz. Avec Delphine Renon, elles créent aussi une collection découverte des classiques, destinée aux plus jeunes.

Le système illustratif du livre musical fonctionne plutôt comme l’album, à savoir que l’image propose une narration parallèle au texte, et en cela il n’est pas rare que les deux genres se croisent dans des œuvres originales. C’est par exemple le cas des trois livres publiés par Pierre Créac’h aux éditions Sarbacane, Le silence de l’Opéra, Le fantôme de Carmen et Le château des pianos ; et plus récemment, du très attendu quatrième opus des aventures de Jacominus Gainsborough, imaginées par Rébecca Dautremer : Une chose formidable.

Le livre d’éveil

Les livres d’éveil s’adressent aux tout-petits : ils exploitent l’image en y associant une dimension tactile essentielle au développement de l’enfant. Pour cela, ces ouvrages, de tailles réduites, sont entièrement fabriqués en matière résistante aux manipulations – y compris les moins délicates –, comme le tissu ou le carton. De plus, divers mécanismes sont mis en place de page en page pour accompagner l’exploration : des boutons, des textures intégrées aux images, des découpes… On en trouve par exemple dans Petits mondes de Clémence Pollet (Hongfei), où des formes se confondent dans des jeux d’évidement, comme le nez d’un chat et une fleur. Véronique Joffre joue plutôt avec les languettes dans Les animaux de la ferme (Gallimard jeunesse).

Le livre d’éveil repose aussi sur des textes très courts (voire absents), qui servent simplement de guide pour une lecture partagée parent-enfant. Julia Chausson s’est spécialisée dans ce genre avec ses comptines illustrées publiées au éditions Rue du monde. Julia Spiers en fait aussi une belle démonstration avec ses douces compositions naturalistes dans Un oiseau une fleur (Seuil jeunesse), dont certains originaux sont d’ailleurs en vente à la galerie.

Le livre-objet

Avec l’amélioration des techniques d’impression, les possibilités du livre en tant qu’objet vont grandissantes. Pop-up, découpes laser, diorama, livres-jeux : les illustrateurs et illustratrices d’aujourd’hui n’hésitent pas à explorer toutes les possibilités du médium. Nous y avons déjà consacré deux articles que nous vous invitons à lire : 5 types de livres-objets : des albums animés aux albums à découper, Le papier découpé : une technique aux multiples usages

Le roman illustré

Si c’était le format le plus courant de livre illustré à l’époque romantique (1830-1870), le roman illustré est un produit plus rare de l’édition actuelle. Contrairement à son cousin l’album jeunesse, le roman illustré met généralement plus en avant le texte que l’image, et s’adresse plus volontiers à un public adolescent voire adulte. Cependant, ces dernières années connaissent un renouveau du genre comme art graphique, avec une place de plus en plus importante donnée à l’image. Les éditions Tishina s’en sont par exemple faites spécialistes. Elles ont ainsi publié plusieurs artistes de la Galerie, notamment Rébecca Dautremer qui y a illustré Soie d’Alessandro Baricco et plus récemment Des souris et des hommes de John Steinbeck, ainsi que Fup, l’oiseau canadèche de Jim Dodge avec Tom Haugomat. Dans la même veine, Kitty Crowther a illustré en 2013 Nous les enfants de l’archipel d’Astrid Lindgren (L’école des loisirs), initialement adapté en série télévisée dans les années 1960.

Ces livres illustrés ne sont pas que des reprises de classiques littéraires : ils sont parfois des créations originales. Joanna Concejo a par exemple collaboré avec la Prix Nobel Olga Tokarczuk pour créer plusieurs romans illustrés tout en délicatesse : Une âme égarée et Monsieur Remarquable (Format). Dans une esthétique et un ton plus jeunesse, on peut aussi citer la série Taupe et Mulot de Benjamin Chaud (Hélium).

La bande dessinée

La bande dessinée est initialement une forme d’illustration de presse qui s’est développée au 19e siècle, notamment grâce à des artistes comme Rodolphe Töpffer en Suisse ou Cham en France. Elle intègre assez vite le monde du livre illustré, puis devient un genre à part entière, contenant une multitude de sous-genres qui tendent à la dissocier de cette classification initiale. C’est un univers riche de l’édition illustré, probablement le plus populaire en France et dans le monde entier.

Les frontières avec l’album jeunesse ne sont pas toujours claires, surtout lorsque le livre est le fruit d’artistes pluridisciplinaires. C’est le cas à la Galerie d’Anne Montel, Julien Arnal ou encore Victor Hussenot. Tous trois actifs dans l’un et l’autre genre, ils vont même jusqu’à créer des œuvres hybrides, empruntant les ressorts scénaristiques de la BD – comme la case ou les onomatopées – tout en les alternant avec de grandes compositions au texte réduit ou absent. Des souris et des hommes de Rébecca Dautremer est aussi une création composite, entre roman illustré et bande dessinée.

Pauline ILLA