Des animaux aux regards presque humains, des images foisonnantes aux airs d’enluminure, et un travail époustouflant au crayon de couleur : voici les trois ingrédients qui font le succès de Delphine Jacquot, illustratrice pour la jeunesse. Diplômée en dessin-maquette et communication aux Beaux-arts de Rennes, puis en illustration à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles, elle reçoit en 2014 le Grand Prix du Musée de l’illustration jeunesse de Moulins.
Une invitation au voyage
Ses études à peine terminées, Delphine Jacquot est contactée par les éditions Gautier-Languereau et Thierry Magnier, et illustre ses premiers albums. Elle passe à l’écriture avec Les aventures improbables de Peter et Herman, une des premières publications des Fourmis Rouges, en 2013. « Cet album est ma toute première aventure en solitaire ! Tout a commencé par un coup de fil de l’éditrice Valérie Cussaguet… Depuis longtemps, elle m’encourageait à être seule maître à bord. » Elle crée alors cet album animalier, avec deux amis que tout oppose, des aventures et un humour à la Glen Baxter (surréaliste et absurde). Pari réussi, puisque l’ouvrage lui vaut une belle récompense à Moulins !
Elle a depuis publié près d’une trentaine de livres, régulièrement salués par la critique. Si elle revisite des classiques avec sa touche si particulière et pleine d’humour, comme La belle au bois dormant ou Casse-Noisette (Didier jeunesse), ce sont surtout les contes d’ici et d’ailleurs qui l’inspirent. Un véritable tour du monde des légendes : en Birmanie avec L’oiseau Arlequin (Thierry-Magnier), chez les tziganes avec Bisha (Rue du Monde), ou encore en Corée avec Timouk, l’enfant aux deux royaumes (Didier jeunesse).
Sagesse et folie
Delphine Jacquot dissimule dans ses somptueuses images de curieux clins d’œil amusants et souvent absurdes. Une dualité que l’on retrouve dans les titres de ses albums, comme Marions-les (L’étagère du bas), qui raconte une romance entre un lapin… et une carotte ! Dans Les aventures d’Uruburu (Albin Michel), les animaux prennent des positions tout à fait inattendues, comme la girafe de la couverture, pliée en quatre, qui annonce ainsi la couleur. Pourtant, le récit évoque des réflexions profondes sur la psychanalyse enfantine !
À travers ses images, Delphine aime ainsi représenter un monde peuplé d’animaux anthropomorphes aux expressions curieuses et aux activités peu banales ; mais parfois, elle rend simplement hommage à la beauté de la nature, avec une précision bluffante. « Des plumes aux poils, du plus petit insecte aux mastodontes, des couleurs de camouflage aux teintes multicolores, c’est leur diversité qui m’intéresse, que ce soit dans leur apparence mais aussi dans leur comportement. Et puis, lorsqu’ils portent un costume trois pièces, se mettent à danser ou se préparent un café, cela crée un décalage qui amène aussitôt une touche d’humour irrésistible ! »
Peu importe où elle nous invite, l’onirisme est toujours le fil conducteur de ses créations. Comme cette jungle qui perd en couleurs dans La légende du colibri (Gründ), allégorie visuelle du récit racontant comment ce petit oiseau tente de sauver cette forêt en proie à un terrible incendie.
Dans son atelier
Delphine Jacquot imprègne ses créations d’un grand réalisme, à l’instar des illustrateurs qu’elle admire tel que Grandville et Gustave Doré, ou encore de l’œuvre de l’académicien Buffon, notamment pour l’étude des anatomies animales de ses Histoires naturelles (18e siècle). Son travail repose ainsi sur des carnets de recherches bien remplis d’images en collage, monotype ou crayons de couleurs.
Pour chaque projet, elle fait des recherches sur les matières, les personnages, leurs habits…. et compose aussi un chemin de fer pour avoir une vue d’ensemble du livre. Elle choisit ses gammes colorées en fonction de la thématique de l’album. Pour Peter et Herman, par exemple, elle estimait que « le voyage ne peut se traduire qu’en couleurs, avec des gammes propres à chaque pays. Comme des cartes postales, les tons se devaient d’être chatoyants, participant ainsi au dépaysement. »
Quand la scène est choisie, elle trace un crayonné final très précis, avant de les mettre en couleurs grâce à ses crayons Luminance de Caran d’Ache, dont l’épaisseur permet « aussi bien de couvrir le papier que de mélanger les couleurs entre elles. » Un travail de longue haleine qui lui prend en moyenne 5 jours par illustration ! Et le résultat est au rendez-vous, avec de belles images qui reflètent autant sa fantaisie que sa technique… au poil.
Pauline Illa
Sources
Delphine Jacquot – France Culture
Coup de projecteur : Delphine Jacquot – La mare aux mots (Sarah)