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10 livres illustrés qui ont marqué l’histoire

On ne saisit pas toujours à quel point la culture littéraire et visuelle actuelle pioche de nombreuses références dans l’histoire du livre illustré. Voici 10 titres originaux, qui en plus d’avoir initié puis renouvelé sans cesse un pan entier du monde de l’édition, ont tant marqué les esprits qu’ils sont devenus des classiques !

Der Struwwelpeter, Dʳ Heinrich Hoffmann, 1845

Traduit en France par Pierre l’ébouriffé ou Crasse-Tignasse, ce recueil d’histoires pour enfant peut être considéré comme le premier véritable album jeunesse. Il s’agissait à l’origine d’un projet intime de l’auteur, qui souhaitait offrir à son fils, pour Noël, ce cahier illustré par ses soins. Mais la démarche séduit ses amis, et le cadeau devient une publication. Son succès retentissant en Allemagne lui ouvre les portes du marché international. L’album, au ton décalé et irrévérencieux, a depuis été traduit dans plus de 30 langues. Repris et détourné maintes fois (par les surréalistes entre autres, ou l’illustrateur Thomas Baas), c’est un des livres et personnages allemands les plus connus. Il a même son propre musée depuis 1977 !

Les illustrations simples et naturalistes mais très ornementées, au trait noir à la plume et en aplats de couleur, s’inscrivent dans une tradition populaire, très vivante par exemple en Alsace avec l’imagerie d’Épinal, et s’éloignent du style plus sobre des illustrateurs romantiques alors à la mode. On y retrouve des couleurs vives, principalement primaires, et des proportions souvent abrégées : un aspect très attrayant pour les plus jeunes !

Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll et John Tenniel, 1866

Voilà un titre qu’on ne présente plus, tant il a marqué l’imaginaire des enfants du monde entier depuis sa sortie il y a plus de 150 ans. Si le manuscrit du livre fut illustré par l’auteur lui-même, cette version, jugée insatisfaisante par Lewis Carroll, n’atteint jamais le public. Il demanda donc à un illustrateur réputé pour ses caricatures dans le journal britannique Punch, John Tenniel, de réaliser un ensemble de gravures sur bois pour la seconde édition publiée en 1866.

Ses images naturalistes au fin trait noir, fleurtant entre symbolisme et grotesque, devinrent ainsi l’identité même des personnages du livre. Une adaptation visuelle qui n’allait d’ailleurs pas toujours dans le sens initial voulu par l’auteur. Par exemple, alors que Caroll avait imaginé une Alice brune, Tenniel l’a dotée d’une longue chevelure blonde et bouclée ! Modèle que l’on retrouve depuis d’adaptation en adaptation, jusqu’à récemment comme dans la version cinématographique réalisée par Tim Burton. Des artistes de la galerie Robillard, comme Clémence Pollet ou Rébecca Dautemer, lui ont cependant rendu sa chevelure brune dans leurs albums !

Pierre Lapin, Beatrix Potter, 1901

Un adorable lapin qui se tient sur ses pattes arrière et porte un cardigan bleu… Il ne s’agit pas ici de Jacominus Gainsborough mais bien de Pierre Lapin, un personnage facétieux imaginé au tout début du 19e siècle par l’auteure-illustratrice au nom enchanteur de Beatrix Potter. Grâce à ses planches naturalistes très précises, et une écriture complexe qui s’adresse aussi bien à l’adulte qu’à l’enfant, Potter crée un style nouveau dans le monde de l’illustration jeunesse, encore à ses balbutiements.

Un siècle et des poussières plus tard, le succès est encore au rendez-vous. Avec plus de 45 millions d’exemplaires vendus dans le monde, c’est un best-seller quasi indétrônable de l’édition jeunesse. De nombreux produits dérivés ont vu le jour durant la vie de l’auteure et bien après, comme le film en réalité augmentée sorti en salle en 2018, qui a rencontré un énorme succès au box-office. Les aventures du facétieux lapin ne cessent aujourd’hui d’inspirer des générations d’artistes dans tous les domaines !

L’Histoire de Babar le petit éléphant, Cécile et Jean de Brunhoff, 1931

Babar, c’est l’éléphant superstar des bibliothèques depuis bientôt 100 ans. Né d’une entreprise familiale, le premier livre écrit par Cécile de Brunhoff et illustré par son mari peintre, est publié par le frère de ce dernier. Succès immédiat de cet animal anthropomorphisé et fait roi de la savane ! Il incarne dans une version enfantine la civilisation du « monde sauvage » au cœur d’une France encore coloniale. Une genèse donc sujette à controverse aujourd’hui, mais qui à l’époque a permis à l’album de se répandre comme une traînée de poudre à l’international, devenant un énorme succès aux États-Unis, et du même coup une véritable franchise. Delphine Jacquot fait d’ailleurs un beau clin d’œil à ce périple dans son livre Un éléphant à New York (éditions Seuil Jeunesse).

Aujourd’hui, Babar, c’est plus d’une trentaine de titres traduits dans une multitude de langues, plusieurs films d’animation et séries animées, et le sujet de nombreuses thèses ! Car au-delà de sa thématique, le premier album a marqué un véritable tournant dans l’édition jeunesse : celui des livres grands formats, intégralement illustrés.

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943

Ce n’est pas vraiment un livre pour enfant, ni vraiment un livre illustré… Pourtant, ce texte poétique de Saint-Exupéry a été imaginé pour s’adresser aux enfants aussi bien qu’aux adultes, tant à travers les mots que les images, indissociables. Publié simultanément en France et aux États-Unis, donc en français et en anglais, c’est aujourd’hui le livre le plus traduit au monde après la Bible. Quel record !

Illustré par l’auteur lui-même de délicates petites aquarelles, aux sujets parfois humoristiques, Le Petit Prince est ainsi une œuvre singulière et sans équivalent dans l’histoire du livre. Proposant plusieurs niveaux de lecture, on peut le comprendre de manière littérale, comme l’histoire d’une amitié entre un jeune héros et un personnage improbable. C’est aussi une allégorie sur la vie, l’amour, l’absurde… Avec des tournures de phrases qui ont marqué des générations de lecteurs et sont devenues de célèbres citations, et des scènes reprises et détournées depuis par de nombreux artistes, comme récemment Seng Soun Ratanavanh dans le livre Une brindille après l’autre (éditions Cambourakis).

Moumine le troll, Tove Jansson, 1948

Moins connu en France, c’est pourtant une référence incontournable au-delà de nos frontières, comme chez l’illustratrice belge Kitty Crowther. Les Moomins (ou Moumines) sont des petits trolls de montagne inspirés du folklore nordique, imaginés à partir de 1945 par la Suédoise d’origine finlandaise Tove Jansson. Leurs aventures, parfois dramatiques, sont largement influencées par la Seconde guerre mondiale, notamment les deux premiers titres racontant d’immenses catastrophes. Ce n’est qu’à partir du troisième opus, Moumine le troll, au ton plus léger, que la série connaît le succès international. C’est d’ailleurs le premier traduit en français en 1962.

Du vivant de l’auteure, la franchise prend déjà plusieurs formes : romans, albums, bande-dessinées, dessins animés… Ces curieux êtres à l’allure d’hippopotame sont partout dans les mondes scandinaves, anglophones et germaniques, et atteignent même le Japon dès la fin des années 1960, où ils sont réinterprétés en mangas et animés. Les Moomins sont aussi adaptés en musique, pièces de théâtre et parcs d’attraction, dont de nombreux encore très actifs aujourd’hui !

Les Trois Brigands, Tomi Ungerer, 1961

L’Alsacien Tomi Ungerer, renvoyé de l’École des Arts décoratifs de Strasbourg au bout d’un an pour « indiscipline », acquiert sa notoriété d’affichiste aux États-Unis à la fin des années 1950. C’est aussi là qu’il se lance en tant qu’illustrateur jeunesse. La première version des Trois Brigands est ainsi publiée en anglais, sous le titre The Three Robbers. C’est une mini révolution dans le livre jeunesse, tant graphiquement que narrativement.

Les images sombres mais percutantes, faites d’aplats noirs sur fond bleu qui ne sont pas sans rappeler un théâtre d’ombres, sont à des années-lumière du style naturaliste en vogue alors dans les albums pour enfants (on pensera par exemple à la collection Martine débutée en 1954). Le livre bouscule aussi les clichés narratifs. Les brigands sont des méchants, motivés par l’appât du gain, et ce sont pourtant les héros de l’histoire ! Avec leur haut de forme noir enroulé d’une corde dorée, ils sont facilement identifiables dans les nombreux hommages qu’on leur a depuis payé, comme chez Thomas Baas.

Max et les Maximonstres, Maurice Sendak, 1963

Ce livre illustré de l’Américain Maurice Sendak réussit le pari de mêler rêve, cauchemar et enfance dans un récit poétique et drôle. Avec ses riches illustrations aux crayons dépeignant une flore luxuriante aux airs de Douanier Rousseau, et une histoire féérique rappelant le classique Peter Pan, l’album connaît un succès immédiat et fulgurant. Images et texte proposent une lecture multiple qui séduit le public autant que les critiques. On y voit une interprétation graphique de la colère enfantine, mais aussi une plongée dans la réception du monde à travers les yeux d’un enfant. En effet, les Maximonstres sont inspirés de caricatures que l’auteur avait faites, dès son plus jeune âge, de ses oncles et tantes aux personnalités qu’il trouvait farfelues.

Depuis sa sortie, l’album a reçu de nombreux prix dont la prestigieuse médaille Caldecott en 1964, et c’est aujourd’hui un tel classique qu’on en trouve de nombreuses références dans la culture audiovisuelle américaine, comme dans Les Simpson, Buffy contre les vampires ou encore Les Frères Scott

Barbapapa, Annette Tison et Talus Taylor, 1970

Ce nom, qui fond sur la langue autant que la confiserie dont il est inspiré, évoque dans les oreilles des grands et des petits un monde tout en rondeur et en couleur, imaginé par un couple franco-américain au printemps 1970. Aucun des deux n’est artiste, ou même écrivain. Elle est architecte, lui biologiste, et c’est au détour d’un curieux échange entre un enfant et son parent autour de cette gourmandise, que germe dans leurs esprits l’histoire de cette famille de créatures en forme de poire.

Leur particularité ? Ils vivent dans une maison évolutive, aux formes rondes adaptées à leur mode de déplacement. Elle est aussi étroitement liée à son environnement, et permet à ces joyeux personnages de vivre en harmonie avec la nature. En cela, c’est un des premiers livres pour enfants ouvertement écologique ! Aujourd’hui, Barbapapa est une véritable marque connue de tous, notamment grâce à ses adaptations animées et ses nombreux produits dérivés. C’est aussi un des rares livres à conserver le même titre dans presque toutes les langues !

Arc-en-ciel le plus beau poisson des océans, Marcus Pfister, 1992

Dans de douces aquarelles du monde aquatique, des écailles aux mille couleurs scintillent sous les doigts des enfants grâce à un savant agencement de papier holographique. Une première dans le livre jeunesse, initiée en 1992 par Marcus Pfister, l’auteur-illustrateur suisse à l’origine de l’œuvre. Un pari pour lequel il sacrifie une partie de ses droits afin de financer les coûts élevés de production.

Vous vous souvenez sûrement de cet ouvrage hypnotisant qui s’est vite retrouvé dans toutes les chaumières et les bibliothèques, avec plus de 30 millions d’exemplaires vendus à l’international, dans 50 langues différentes. Mais le poisson Arc-en-ciel, c’est aussi une suite de 9 albums publiés jusqu’en 2012, un dessin animé de 26 épisodes réalisé en 1999, une dizaine de récompenses prestigieuses, et des rééditions récurrentes qui en font aujourd’hui un classique du livre illustré !

Pauline ILLA